Passe le temps.
Le désir de se lancer est là mais,
Du mot tapé, il n’y a que le désir.
Aucune idée ou émotion ne s'arrache et qui aiderait à broder.
Des mots.
Oui mais…
Oui mais quoi?
Taper des mots.
L’envie de fuir sans se sauver, de fuir tout en restant sur place.
Ne penser à rien.
Laisser aller les mains.
Les doigts,
Les abandonner à eux-mêmes,
Sans savoir
Où les mots conduisent.
Le vide,
À combler.
Le vide,
Qui aspire.
Tout à coup,
Je vois couler le fleuve.
Entre les deux rives, tant d’eau passe chaque seconde.
Tant d’eau s'échappe des terres, remonte de la mer.
Depuis des millénaires,
L’eau coule.
Soudain surgit l’idée de contenir l’eau, de l’empêcher de couler.
En somme, s'impose l’idée de construire un barrage.
Empêcher l’eau du Saint-Laurent de couler,
Une eau qui coule depuis des milliers d’années.
Très vite le barrage, sa hauteur, sa largeur, son étendue, donc
Très vite les dimensions de l’édifice deviennent impossibles.
En même temps, je tente d’imaginer la totalité
De la mécanique de remontée de l’eau, tout en haut, à la source.
Mais encore une fois, tout devient trop vite trop gros.
Interfère un débordement de données pour évaluer l’ensemble du système.
Puis alors que je ne m'y attendais pas, le fleuve s’empare de ma pensée
Comme si, à mon insu, il m’avait avalé.
En même temps et bien que je sois toujours sur la berge,
Je sens le courant qui s’empare de ma conscience.
Sans arrêt, je regarde le fleuve qui coule
Tout en me laissant imprégner par la puissance de ses eaux
Qui m’emportent loin, dans un ailleurs inconnu,
En un lieu réel mais immatériel, là où j’avais imaginé le barrage.
Je comprends qu’on puisse détourner l’eau du fleuve.
Mais l’empêcher de couler au moyen d’un barrage?
Créer un détournement des eaux devant réalimenter sa source?
Alors que je me questionne, j’ai la sensation que le fleuve est en moi.
Par contre, bien que je ressente le courant du fleuve couler en moi,
En même temps, j'ai la certitude de me déplacer au milieu de ses eaux.
Sauf que je me tiens hors de l’eau, faisant face au fleuve.
De l’autre côté, derrière la ville, se dressent les Laurentides.
Et voilà que les montagnes à leur tour cherchent à m’avaler
Pour que je puisse ressentir
Toute l’énergie nécessaire
À leur expulsion hors des entrailles de la Terre.
Au même moment, sans le moindre avertissement, le fleuve
Se fait plus violent, plus oppressant. Je le sens devenir impatient.
Son désir est que je me fonde entièrement en lui et en même temps,
Que je regarde les montagnes comme si en moi réside leur conscience.
Il n'empêche toutefois que du fleuve émane une puissance qui m’effraie.
Le fleuve refuse cependant d'en tenir compte, passe outre à ma frayeur
Et m’oblige à me concentrer davantage sur la présence des montagnes.
La puissance ressentie est tellement impressionnante
Que je finis par m’abandonner tout entier.
Je ne peux résister.
La volonté du fleuve m’emporte
Bien que je me tienne debout sur la berge qui le borde.
Sauf que sans y être, j’ai la conviction de flotter au milieu des eaux.
Soudain, je vois les montagnes apparaître, sortir de terre.
Obnubilé par ce spectacle, j’essaie de ressentir toute l’énergie Nécessaire à cette poussée hors des replis du sol de la masse rocheuse.
Mais confronté à ce déploiement inimaginable des forces de la nature
Dans des conditions qui relèvent du surréalisme, tout à coup
L'effervescence du moment devient si envahissante et si intense
Que je suis obligé de m'extirper de ma torpeur et de fuir ce lieu.
-- = - = --
nadagami