Notre-dame-auxiliatrice-de-Buckland
Origine d'un nom de village
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Introduction
Notre désir de comprendre l'origine du nom de notre village d'adoption est né d'un constat duquel a découlé une question à double volet : « Ici, à Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, tous les villageois parlent la même langue, c'est-à-dire le français du Québec. Alors premièrement, comment s'explique le choix de la dénomination anglaise Buckland dans la composition du nom de ce village unilingue francoquébécois et deuxièmement, pourquoi Buckland? »
Puis le temps passant, a surgi, toujours au sujet du choix définitif du nom du village, cette autre question : « Étant donné que nous sommes au Québec où le pouvoir religieux catholique a longtemps imposé sa toute-puissance dominatrice et par ricochet, déterminé le nom d'un nombre prodigieux d'agglomérations, de voies de circulation, d'institutions et même de formations géologiques, jamais donc n'avons-nous été étonné de constater la présence de l'hagionyme marial Notre-Dame dans l'ensemble dénominatif de l’appellation du village. Toutefois, il y a le spécificatif auxiliatrice qui détonne et qui, par conséquent, commande une explication justifiant ce choix. Alors donc, pourquoi Notre-Dame de Buckland est-elle auxiliatrice? »
Souhaitant obtenir les réponses attenantes à nos questions, nous nous sommes tout d'abord enquéri auprès des villageois. C'était la façon, avions-nous jugé au départ, la plus simple et aussi la plus rapide devant satisfaire notre curiosité. Sauf que voilà, les informations glanées ici et là se sont révélées peu fondées ou encore raboudinées d'après le senti toujours frivole de la convenance populaire. Ainsi donc nous a-t-il fallu entreprendre une longue quête qui nous a obligé à lire de nombreux textes, parmi lesquels certains nous ont entraîné bien au-delà de l'année de proclamation officielle, soit 1885, de la municipalité de paroisse de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland.
Première partie - Buckland
1.1 - Un canton, un village
Étant donné que depuis des lunes les résidants du village ainsi que les gens des alentours se restreignent à mentionner Buckland chaque fois qu'il est question du village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, nous tenons à préciser en ces premières lignes que, voilà plus de deux cents ans, l'appellation Buckland s'est tout d'abord rapportée à un canton. L'étendue originale du canton de Buckland couvrait une superficie de 195.4 km².
Morcelé au cours de sa colonisation, le canton de Buckland est devenu au fil du temps le théâtre de la fondation de cinq (5) villages dont les délimitations reconnues aujourd'hui débordent, à l'exception de Saint-Nazaire-de-Dorchester, de l'étendue définie du canton. Ces villages, encore de nos jours dotés d'une structure administrative opérationnelle, sont :
1 - Saint-Nazaire-de-Dorchester; 2 - Saint-Damien-de-Buckland;
3 - Saint-Léon-de-Standon; 4 - Saint-Malachie;
5 - Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland.
Quant à l'entité villageoise Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, c'est un demi-siècle après la proclamation du canton de Buckland qu'elle a vu le jour. La superficie contenue à l'intérieur des limites du village est de 96.6 km².
Retenons donc ici que, dans un premier temps, le canton de Buckland a été délimité, comme il se devait, en vue de la concession subséquente des terres publiques pour fins de colonisation et que, dans un second temps, a été fondé le village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland dont l'appellation communément acceptée aujourd'hui est Buckland. Font suite à ce bref récapitulatif les années de proclamation et de fondation officialisées de ces deux subdivisions territoriales :
1) 1806 - année de proclamation du canton de Buckland;
2) 1857 - année de fondation du village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland.
De plus et à l'instar d'autres localités du Québec, le village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland a, par le passé, hérité d’une dénomination associée au territoire reconnu d'une paroisse érigé par la suite en municipalité. Ce qui revient à dire que l'espace territorial circonscrit, tout d'abord reconnu comme étant celui de la paroisse de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, correspond aujourd'hui au territoire desservi par la municipalité de paroisse de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland.
Il appert cependant que le nom de notre village d’adoption suggère que, une fois circonscrit, le territoire de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland s’étendait dans sa totalité à l’intérieur des limites du canton de Buckland. Selon nous, la précédente assertion est exacte si on ne se fie qu'à la délimitation du canton de Buckland officialisée lors de sa proclamation et dont l’étendue à l’est atteignait alors la limite est du canton de Armagh.
Toutefois, il importe de préciser que la création du canton de Mailloux (1863), qui a précédé la naissance du village de Saint-Philémon (village situé à l'est de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland), a eu comme conséquence d'amputer le canton de Buckland de cette étendue qui jouxtait la limite sud du canton de Armagh. Finalement, il en résulte aujourd'hui que le présent territoire relevant de l'entité administrative qu'est la municipalité de paroisse de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland découle d’une réunion de la portion la plus à l’est du canton de Buckland et d’une portion, moindre que la précédente toutefois, du canton de Mailloux.
Enfin, signalons à titre didactique que :
- la division en canton assurait la colonisation ordonnée du territoire;
- aujourd'hui au Québec, le canton, à moins d'avoir été municipalisé, n'est plus reconnu en tant que division administrative;
- le canton est un mode de division des terres hérité de la coutume anglaise.
1.2 - L'anglais, la langue du pouvoir dirigeant
Dans la section précédente il est précisé que c'est en 1806 qu'a été reconnu par proclamation le canton de Buckland. Or en 1806, le pouvoir colonial en sol canadien est britannique. Il en découle donc que le choix de la dénomination anglaise Buckland (de même que le nom de tous les autres cantons qui ont été proclamés avant 1834) s'inscrit dans la logique de domination du Canada devenu colonie britannique suite à la Conquête.
En somme, la dénomination anglaise Buckland est représentative de la langue du pouvoir dirigeant en sol canadien lors de la proclamation du canton de Buckland. Cependant, le second volet de la première question introductive reste toujours sans réponse puisque, à ce stade-ci de la présente étude, nous échappe encore le motif qui a poussé les décideurs responsables des choix tononymiques à privilégier l'appellation Buckland. Se dessine donc une entreprise qui, longtemps au cours de son élaboration, demeurera pour nous aussi nébuleuse qu'énigmatique, mais qui finira par devenir révélatrice de desseins relevant d'intentions très bien définies.
1.3 - La quête d'informations
Intensément désireux d'accoler des réponses satisfaisantes à toutes nos interrogations, nous nous sommes résolu après un certain temps à enrichir la documentation à laquelle nous avions accès au début de notre entreprise étant donné que, se définissant davantage nos attentes, s'est révélé être déficient l'ensemble de nos sources d'information de départ. Pour ce faire, nous avons pris connaissance du contenu informatif présenté d'une part, sur des sites Internet relevant d'instances administratives officielles et d'autre part, sur des sites Internet de nature plus commerciale et vantant les attraits récréotouristiques de la région. À cette quête sur Internet s'est ajoutée celle d'informations puisées dans différents ouvrages et périodiques référencés pour que soit conforté le contenu didactique du présent document.
Bien que beaucoup plus laborieuse que ce que nous avions anticipé, cette seconde quête d’informations nous a cependant permis de découvrir qu’en Angleterre sept (7) différentes localités ainsi qu'un (1) quartier portent le seul et même nom de Buckland. De plus, à ce premier répertoire est rattaché un second répertoire relevant neuf (9) localités à double appellation dont la première (à l'exception de West Buckland) est Buckland et la seconde, différente pour chacune des autres localités répertoriées. Au total donc, on dénombre aujourd’hui en Angleterre seize (16) différentes localités et un (1) quartier ayant Buckland comme appellation unique ou composée.
De plus, nous avons constaté, lors d’un survol rapide de l’histoire de quelques-unes de ces localités anglaises appelées Buckland, que ces dernières ont en commun des dates de fondation dont l'antériorité détonne lorsqu'elles sont comparées à l'année de proclamation, soit 1806, du canton de Buckland. À titre d’exemple, les écrits d’anciens documents rédigés en l'an 1086 révèlent l’existence d’un lieu appelé Buckland et faisant aujourd’hui partie de la commune de Surrey, mais localisation signalée selon l'orthographe reconnue d’alors, soit Bochelant.
En somme, il ressort ici que le toponyme Buckland se singularise en raison :
- 1) de sa grande diffusion, en particulier dans le sud de l'Angleterre,
- 2) ainsi que de l'étonnante ancienneté de son usage en ces mêmes terres.
Sauf que ces deux particularités ayant été décelées et suite à la découverte sur le site Internet de la Commission de toponymie du Québec(1) de l'antonymie des termes anglais « buckland et folkland », voilà que graduellement s'est imposé l'intérêt d'une analyse de la dénomination Buckland en tant que mot du terroir britannique plutôt qu'en tant que possible rapprochement à établir avec une agglomération du même nom. Comme nous le verrons plus loin, en concentrant nos efforts en vue d'une meilleure compréhension du signifié préalable à l'usage du signifiant, notre démarche nous a conduit à l'évidence que le choix de la dénomination Buckland relevait au départ d'une décision arrêtée en vue de l'établissement en un lieu donné, ici le canton de Buckland, de colons de langue anglaise. Mais avant d'en arriver là, nous nous sommes tout d'abord attaqué aux explications communément mises de l'avant pour justifier l'origine du toponyme cantonal Buckland.
(1) (http://www.toponymie.gouv.qc.ca/ct/nous-joindre.aspx)
1.4 - Des explications infondées
Enfin mieux outillé pour répondre à nos questions, nous nous sommes dès lors attardé au fondement de l'hypothétique référence qui suggère que l'appellation du canton soit rapportée au géologue et paléontologue anglais William Buckland (1784-1856). Bien qu'à prime abord fort séduisante, la référence à cet illustre personnage se révèle être également contestée en raison de l'âge effectif de William Buckland, qui n'avait que 22 ans au moment de la proclamation du canton de Buckland. De plus, il importe de savoir que ce n’est qu’à compter de l’an 1824 qu'est devenu particulièrement célèbre William Buckland, et ce, en raison de ses travaux réalisés à titre de paléontologue, soit « dix-huit (18) ans après la proclamation » du canton.
Il est à noter également qu'en 1793, soit treize (13) ans avant la proclamation du canton de Buckland, l’arpenteur Jeremiah McCarthy(2), celui-là même qui arpenta ledit canton en 1802, et le capitaine T.A. Wetherall réclamèrent pour eux-mêmes le canton de Buckland. Toutefois, cette réclamation fut sans suite pour les deux requérants en raison de difficultés rencontrées lors des démarches entreprises en vue de l’obtention du financement nécessaire au développement du canton convoité. Retenons cependant que cette réclamation nous informe que déjà en l’année 1793 était connu, fort probablement aussi délimité, le canton de Buckland et aussi qu’en cette année 1793, William Buckland, le géologue paléontologue auquel on fait référence pour expliquer le choix du nom du canton de Buckland, n’avait alors que : « 9 ans!!! »
(2) (http://www.biographi.ca/fr/bio/mccarthy_jeremiah_6F.html)
Toujours avec l'intention de comprendre l'origine du nom du village, nous nous sommes aussi attardé à soupeser le pour et le contre de la traduction en langue française du mot Buckland par « terre du/de chevreuil(s) » que suggère de nos jours la présence fort importante de « cerfs de Virginie » (et non pas de chevreuils) sur le territoire de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland. Soulignons au passage que cette adaptation en langue française a trouvé écho auprès de quelques places d’affaires surtout en raison de la valeur auréolée et très emblématique associée au panache que porte le « buck » (terme anglais qui dans la région est privilégié à celui de « mâle » et qui aussi renchérit l’allusion associative forcée à l’animal appelé chevreuil).
En dépit de la faveur populaire que suscite cette adaptation en langue française, de notre côté nous croyons que cette acceptation interprétative, expliquant le choix de l'appellation Buckland, découle plutôt d’un consensus social affecté par l'observation contemporaine d'une présence animale comme si ladite observation reflétait une réalité immuable du passé. Autrement dit, une telle interprétation ne tiendrait nullement compte de la composition faunique effective qui prévalait à l'intérieur des limites du canton alors que celui-ci héritait du nom de Buckland.
Or selon nos recherches, il appert que la présence du cerf de Virginie ne s'est accrue et répandue au Québec, depuis la région la plus méridionale de la province, qu’à compter de la fin du XIXe siècle, soit près d'un siècle après la proclamation officielle du canton de Buckland. De plus, ce sont les activités pratiquées en milieu forestier et le développement de l'agriculture qui ont généré une abondance de la nourriture recherchée par l'animal et par contrecoup, favorisé l'augmentation en sol québécois du cheptel de cerfs de Virginie. Ce qui revient à dire que, au début du XIXe siècle, le canton de Buckland, territoire non encore habité, n’aurait alors compté à l’intérieur de ses limites qu’un nombre de chevreuils (sic) témoignant davantage de sa quasi-absence plutôt que de son omni-présence. Par conséquent, le choix du nom de Buckland s’explique sans doute par une autre raison que celle qui découlerait de la très hypothétique présence d’un nombre considérable de chevreuils/cerfs de Virginie, et donc de « bucks », sur le territoire qui, voilà un peu plus de deux cents ans, a hérité du nom de Buckland.
Mais si la référence à William Buckland et l'interprétation francoquébécoise terre du/de chevreuil(s) n'expliquent d'aucune manière le choix de l'appellation Buckland, dans ce cas que pourrait-il en être du véritable motif qui y a conduit? Confronté à une tâche dont l'ampleur, en tant que néophyte, tendait à nous dépasser et à la déconvenue finale que notre projet semblait nous destiner, nous avons cru pendant un certain temps devoir nous contenter de l'explication plutôt expéditive voulant que le toponyme Buckland référerait à une très ancienne agglomération aujourd'hui amalgamée à une ville d'Angleterre depuis longtemps animée d'un fort élan expansif. En somme, tout cela pour offrir comme explication que l'appellation Buckland aurait découlé, ni plus ni moins, d'un souhait exprimé par les autorités dirigeantes pour que soit banalement soulignée l'appartenance du territoire cantonal bucklandais des hauts de Bellechasse à l'Empire britannique.
Cependant, en nous intéressant au mot Buckland, autant à sa signification qu'à son évolution, nous avons alors découvert un mot qui définit très bien l'esprit qui émane du caractère propre à la division cadastrale en canton et dont le mode d'attribution des terres a été introduit en territoire canadien suite à l'Acte constitutionnel de 1791. Subséquemment donc à l'adoption de cette loi par le Parlement britannique, il en a découlé que dorénavant la concession des terres s'effectuerait selon la tenure du franc et commun socage (franc-alleu). D'une certaine façon, il fallait s'y attendre puisque c'est ce que recherchait le colon britannique désireux de s'établir au Canada, c'est-à-dire une terre libérée de toute redevance.
1.5 - Un territoire inhospitalier
Il n'en reste pas moins cependant que le canton de Buckland, au cours des quarante années qui ont suivi sa proclamation, est demeuré sans traces d'occupation officielle, les premières concessions n’y étant accordées qu’à compter de 1846-1847. Intrigué par cette longue période de dormance relative au processus de concession des terres du canton, nous avons cru dans un premier temps que cette situation s'expliquait surtout par les conditions inhérentes à la mise en exploitation première de la terre.
Il faut toutefois savoir que les compagnies forestières, en ces temps de colonisation, détenaient d'importants droits de coupe et, par le fait même, pouvaient vider les espaces destinés à la colonisation des essences ligneuses de bonne qualité dont les premiers occupants auraient eu besoin lors de leur établissement. À ce népotisme industriel forestier se sont ajoutées les particularités propres au territoire, localisé en zone montagneuse et donc en plan incliné, et dont la terre à défricher allait se révéler être à maints endroits aussi pierreuse que rocheuse.
Étaient aussi inhérentes au défi que représentait l'exploitation initiale de la terre les conditions de vie difficiles qu'ont dû supporter les premiers résidants du canton, soit l’isolement, l’éloignement des centres de service et l’absence de chemin digne de ce nom devant faciliter les déplacements. Tout cela sans oublier la saison de l'hiver qui, depuis toujours au pied des versants montagneux et comme l'ont assurément découvert les premiers arrivants, y est accompagnée année après année de très abondantes accumulations de neige.
Terres vouées à l'acquittement de toutes redevances mais jamais auparavant soumises à la volonté aratoire de l'homme, défricheur contraint de vivre en vase clos et ne devant compter que sur lui-même, canton où tout est à bâtir sur un sol qui recèle autant de roches et de pierres qu'un ciel de nuit compte d'étoiles, c'était cette dure et implacable réalité qui attendait le colon désireux de s'établir sur les terres du canton de Buckland.
Mais il y avait aussi l'autre côté de la médaille, soit celui de ceux qui tiraient les ficelles avec les possibles jeux de spéculation foncière ou encore qui alimentaient les fourberies administrives dont la lourdeur décourageait les âmes les plus entreprenantes, le tout se démarquant aussi par l'absence d'une indispensable société de colonisation nécessaire à l'établissement des colons. En somme, de nombreuses embûches se dressaient et qui réunies ont sans doute freiné l'élan de colonisation du canton de Buckland.
Par contre et malgré tout, pour les autorités en place il fallait trouver un moyen qui inciterait des colons laissés à eux-même à s'enraciner en ces terres hostiles à la présence de l'homme. Tout cela sans oublier d'une part que, en ces temps depuis la Conquête, les nouveaux arrivants venus pour s'établir au Canada étaient d'origine britannique et donc pour qui la langue d'usage était l'anglais, et d'autre part que les autorités décisionnelles s'exprimaient elles aussi en anglais. Tout se déroulait donc entre anglophones.
1.6 - Une définition
Or, notre démarche nous a amené à entrevoir la possibilité que l'appellation Buckland aurait découlé d'un choix réfléchi afin de susciter un désir d'acquisition d'un bien foncier chez le colon britannique. Le tout s'est précisé dès lors que nous nous sommes enquis de la dénomination Buckland en tant que fusion des mots buck et land tout en tenant compte des précisions suivantes :
- buck, élément graphique qui a comme équivalent en langue française le mot livre bien que de nos jours la graphie en langue anglaise du mot livre soit book;
- land, mot dont la graphie est demeurée inchangée et qui, dans le cas présent, signifie en français terre.
Ces précisions étant apportées et afin de bien saisir le sens à accorder au mot buckland, il importe selon nous d'être au fait de l'évolution au fil du temps de la graphie des mots book et buckland.
Donc pour ce qui est du mot book, retenons qu’à l'origine ce mot s'écrivait en vieil anglais (Old English) bōc. Sachant cela, ajoutons maintenant que, en sol britannique, la découverte d’actes écrits remontant au VIIe siècle a révélé que déjà en ces temps lointains était en usage le mot bōcland né de l’union des mots bōc et land. Signalons aussi que la conservation de documents écrits se rapportant à différentes époques a permis de mettre à jour le passage évolutif du mot bōcland devenu subséquemment bochelan(d/t), ensuite bockland/bockeland pour enfin être transcrit selon la graphie reconnue aujourd’hui, soit buckland.
Ainsi donc, en réunissant les mots buck et land se retrouve-t-on avec le mot buckland doté, comme il se doit, d'une définition qui lui est propre :
- Buckland (bookland : la terre du livre) - Titre (book) [charte; diplôme royal reconnaissant un privilège] de propriété foncière, ici une terre (land), qu'atteste l'écrit dudit document et dont la possession est affranchie de toute redevance. (DV)
Autrement dit, le terme buckland exprime l'idée d'un titre de propriété d'une terre acquise sous la tenure du franc et commun socage, comme le réclame la coutume anglaise. Et c'est exactement ce que recherchait le colon d'origine britannique désireux de s'établir au Canada, soit une terre dont il serait propriétaire et qui de surcroît serait libérée de toute redevance.
1.7 - Une stratégie inadaptée
À la lumière de tout ce qui a été rapporté précédemment, nous nous sentons maintenant obligé d'avouer notre penchant à privilégier l'approche selon laquelle le choix de l'appellation Buckland découlerait tout bonnement d'une stratégie, somme toute racoleuse, visant à susciter chez le colon d'origine britannique une prise de décision empreinte d'émotivité. Il est entendu que l'objectif de la division en canton était la colonisation ordonnée du territoire non encore habité du Canada. Sauf que les terres du canton de Buckland, jusque-là sauvages, se voulaient à prime abord surtout destinées à une éventuelle production agricole dite de survivance et ce, au coût d'efforts que nous pourrions pratiquement qualifier de surhumains. Au moyen d'un mot, soit celui de Buckland, on aurait donc cherché à séduire le colon britannique, lui qui deviendrait le détenteur d'un titre de propriété terrienne libéré de toute redevance, pour que celui-ci s'implante en permanence en ce canton, mais dont le défrichement de la terre acquise et sa mise en culture commandaient, rappelons-le une fois de plus, une impressionnante dose d'opiniâtreté.
De plus et quant à l'approche ci-devant décrite, il en irait de même, selon nous, pour le canton de Armagh (du même nom que celui d'une ville au riche passé historico-religieux d'Irlande du Nord) dont la limite sud est contiguë à une partie de la limite nord du canton de Buckland. Ainsi donc se pose dans le même esprit la question suivante : pourquoi avoir choisi le nom d'Armagh pour ce canton? Parce que, à nos yeux, la volonté exprimée par les autorités coloniales était que s'implantent en ce canton des gens venus d'Irlande, mais où en fin de compte nul colon irlandais ne s'établira en dépit de la dénomination fort évocatrice dudit canton. L'échec subséquent à cette tentative de colonisation ciblée du canton d'Armagh n'a toutefois pas empêché que se déploie dans la région, au début du XIXe siècle, une première vague d'immigration composée en bonne partie de gens natifs d'Irlande qui, cependant, se sont établis dans le canton de Frampton en raison surtout d'une solide et très efficace société de colonisation qui avait au préalable pris les choses en main.
En somme, il nous semble permis de croire que le choix du nom de Buckland s'inscrivait dans le cadre d'une stratégie déterminée d'occupation du territoire qui toutefois s'est avérée inefficace. Par ailleurs, le contenu sémantique du mot buckland s'oppose avec tant de force à l'idée de la censive propre au régime seigneurial qu'il nous apparaît invraisemblable de croire que la clientèle colonisatrice appelée à occuper le canton de Buckland aurait pu être, au départ, composée de Canadiens plutôt réfractaires, en outre, à l'idée de délaisser le régime seigneurial.
De plus, en cette période de consolidation du pouvoir anglais en sol canadien, il y avait aussi obligation pour les représentants de la couronne britannique de défendre l'intégralité du territoire face à un voisin belligérant qui cherchait à étendre sa domination et qui, en plus, jouissait de l'appui d'une partie de la population canadienne au parler français de la Côte-du-Sud. Mais le temps passant, le pouvoir religieux catholique parviendra finalement par s'imposer et les premiers colons à occuper le territoire qui deviendra celui du village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland origineront pour la plupart des villages francophones des bas de Bellechasse.
1.8 - La langue des villageois
Enfin, bien que des recensements tenus sur le territoire du canton de Buckland à la fin du XIXe siècle rapportent tout de même la présence de résidants pour qui la langue maternelle était l'anglais (probablement établis à Saint-Malachie), aujourd'hui, le village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland ne semble compter aucun descendant issu de cette présence initiale de colons défricheurs d'origine britannique. Tout indique plutôt que le village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland n'abrite depuis sa fondation que des résidants dont la langue maternelle est le français du Québec. Il est à retenir toutefois que les villageois et les villageoises qui résident à Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland se présentent, comme s'ils en avaient hérité contre toute attente, sous le gentilé Bucklandais/Bucklandaises.
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Addendum
Nos recherches nous ont également permis de découvrir qu’au concept de buckland est intrinsèquement associé celui de folkland. Aujourd’hui concept obsolète mais antérieur à celui de buckland (notion également sortie de l'usage), le folkland peut être perçu comme étant l’antithèse d’un buckland.
Pour cette raison et au contraire du buckland qui atteste la possession d'un bien terrestre au moyen d'un acte de cession écrit, le folkland fait plutôt référence à un mode de concession d’une terre dont l'attestation relève du droit coutumier. La reconnaissance des usages et privilèges associés au folkland reposait donc sur le droit établi d’après la coutume (folk), c’est-à-dire selon des habitudes qui, en plus d’être acceptées et suivies par un groupe donné, avaient été transmises de génération en génération.
Cependant et au contraire des dispositions que garantit le buckland :
- aucun acte écrit ne certifie la possession d’un folkland et par conséquent, les droits découlant de la possession d’un bien terrestre concédé en tant que folkland peuvent être révoqués;
- un folkland ne peut être légué par son détenteur en héritage sans l’approbation soit de l’autorité dont relève la reconnaissance du droit coutumier, soit du seigneur ou du détenteur du titre de propriété de la terre concédée en tant que folkland;
- de la possession ainsi que de l’exploitation d’un folkland découle pour l’exploitant l’obligation de redevances au détenteur du bien foncier (souvent le roi).
(DV 2019/02/20)
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Deuxième partie - Auxiliatrice
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(Afin d’enrayer un risque possible de confusion, nous tenons à préciser que la dénomination mariale Notre-Dame Auxiliatrice ne se rapporte qu’à la municipalité de paroisse de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland. Quant au canton de Buckland, en aucun temps le vocable religieux Notre-Dame Auxiliatrice n’a été rattaché à la désignation nominale de cette subdivision territoriale.)
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2.1 - Mise en contexte
C’est aux alentours de 1830 que l’ensemble territorial composé des seigneuries du Bas-Canada atteint et, par la suite, dépasse les limites de sa capacité d’absorption de l’accroissement de la population canadienne française qui y est confinée. Il est à noter que, à cette époque, tous les trente ans la population canadienne française double en nombre. De leur côté et bien que conscientes de la situation, les autorités représentatives du pouvoir colonial britannique s’opposent à la création de nouvelles seigneuries et, par ricochet, à un accroissement de l'étendue globale du territoire seigneurial déjà existant.
En fait, et ce depuis plusieurs années déjà, la volonté du pouvoir d'obédience britannique en sol canadien est que soit aboli le régime seigneurial et ce, à la faveur du seul régime cantonal de division des terres. Mais en dépit des volontés divergentes exprimées, d'une part, par les autorités dirigeantes et, d'autre part, par la population francophone évoluant à l'intérieur de l'ensemble seigneurial déjà établi, il n’en demeure pas moins que l’effet combiné, tout d’abord, de l’accroissement important de la population canadienne française et, en contrepartie, de l’interdiction de créer de nouvelles seigneuries, conduit inexorablement à une situation de surpopulation à l’intérieur du cadre seigneurial existant.
Quant aux Canadiens, si nombreux à être voués par déterminisme sociétal au travail agricole défini selon les principes du régime seigneurial, ceux-ci ne manifestent que très peu d'intérêt pour la tenure en franc et commun socage du canton. Précisons toutefois que les censitaires des terres seigneuriales ne détiennent pas, à vrai dire, le capital financier suffisant, trop pauvres qu’ils sont, pour mettre la main sur un titre de propriété libéré de toute redevance tel que le veut le mode cantonal de division des terres.
Toujours est-il qu'en dépit de la reconnaissance par les autorités des conditions de surpopulation qui prévalent à l'intérieur du territoire défini des seigneuries, le problème perdure. C'est donc ainsi que passent les années jusqu’à ce que, vers 1840, les autorités se montrent davantage préoccupées par l’exode de nombreux Canadiens qui délaissent la campagne seigneuriale surpeuplée afin de dénicher un emploi dans les centres urbains que sont Québec et Montréal.
Sauf que très vite l’offre en milieu citadin se révèle insuffisante. C’est alors que, par voie de conséquence, s'accélère l'élan déjà existant d'un mouvement d'expatriation d'envergure conduisant une masse migrante bas-canadienne désireuse de jours meilleurs en différents lieux des états américains du Midwest et de la Nouvelle-Angleterre. Les autorités sont inquiètes et tentent de freiner l'élan de cet exode massif qui s'intensifie au sein de la population canadienne française.
Qui plus est, au cours de cette période de transition qui sera marquée par la création du Canada-Uni (1841) et plus tard par l’abolition définitive du régime seigneurial (1854), le territoire colonial britannique bas-canadien devient le lieu d'un temps de confrontation politique intense et acharnée qui dégénère en conflit armé (1837-1838). Cette période d'affrontements se terminera par des déportations et des pendaisons à la défaveur des insurgés canadiens français.
Pour sa part et puisque porté à entériner les décisions politiques des dirigeants coloniaux en place tout en condamnant les actes d’insubordination, le pouvoir ecclésiastique canadien parvient à tirer son épingle du jeu au cours de cette période de forte instabilité sociale. Omniprésents, instruits, influents auprès de la population francocanadienne assujettie du Bas-Canada, les représentants de l'Églige catholique canadienne animés par une vision ultramontaniste se voient, à la suite de cette période d'agitation politique, finalement auréolés de la confiance du pouvoir politique du Canada-Uni.
Dès lors investi d’un pouvoir d’influence énorme, le clergé canadien qui voit ses ouailles quitter en grand nombre les terres surpeuplées des seigneuries suscite des sociétés de colonisation. C’est ainsi que, sous l’égide de l’Église catholique canadienne, de nouveaux territoires s’ouvrent à la colonisation qui, une fois défrichés, pourvoiront en terres agricoles les Canadiens puisque pour la très grande majorité de ceux-ci, l'agriculture représente le seul avenir possible que lui conseille, en plus, prestement d'embrasser l'Église catholique canadienne.
Tout cela finalement pour en arriver à l'année 1847 alors que le grand vicaire et missionnaire colonisateur Alexis Mailloux (1801-1877) fonde une société de colonisation en vue de l’occupation et du développement des cantons de Buckland, Armagh, Mailloux, Roux, Bellechasse et Daaquam. C’est également à l'année 1847 que correspond l’ouverture du canton de Buckland à la colonisation.
2.2 - Notre-Dame Auxiliatrice
En somme, il ressort de cette mise en contexte que c’est sous la gouverne du pouvoir ecclésiastique de l'Église catholique canadienne qu’a vu le jour et, par la suite, que s'est développée la municipalité de paroisse de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland. Par conséquent, on ne s'étonne pas de découvrir que très tôt dans l'histoire du village une corvée est réclamée en vue de la construction d’un lieu de culte.
Ainsi donc, soit au cours de l’année 1856, sont entrepris les travaux en vue de la construction d’une chapelle qui, une fois érigée, est devenue le premier lieu de culte à Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland. Cette chapelle, dédiée à Notre-Dame Auxiliatrice, a également servi de presbytère. L’année suivante, soit en 1857 et année qui est retenue comme étant celle de fondation du village, on ouvrait les registres paroissiaux. Ce n'est toutefois que le 27 juillet 1882 qu'a été obtenue l'érection canonique de la paroisse de Notre-Dame-Auxiliatrice. Enfin, de nos jours trône au centre du village la manifestation la plus éloquente du prodigieux ascendant que détenait le pouvoir religieux en ces temps de colonisation, soit l'église Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland construite en l'année 1870.
En ce qui a trait au vocable marial Notre-Dame Auxiliatrice, le culte ainsi rendu à la Vierge Marie, et ce, bien avant la fondation du village, a tout d’abord gagné en popularité à la suite de la bataille de Lépante. La victoire de la coalition des forces chrétiennes d’Europe, confrontée le 7 octobre 1571 à la puissante et redoutable marine de l’Empire ottoman, a été attribuée à Notre-Dame Auxiliatrice en raison des prières que lui aurait adressées l’ensemble des chrétiens dans les jours précédant le déclanchement des hostilités. En réclamant l'aide de la Vierge Marie au moyen de leurs prières, les chrétiens répondaient ainsi aux recommandations que leur avait transmises le pape Pie V.
Nos lectures nous ont aussi permis de découvrir que se tient le 24 mai de chaque année une fête liturgique en l'honneur de Notre-Dame Auxiliatrice. Cette fête a été instituée en guise de reconnaissance à la Vierge Marie suite à la libération, soit le 17 mars 1813, du pape Pie VII qui avait été fait prisonnier en 1808. La libération du pape Pie VII a été interprétée, une fois de plus, sous l'angle d'un dénouement favorable s'expliquant par les nombreuses prières invoquant l’aide de Notre-Dame Auxiliatrice et vers laquelle le souverain pontife se serait tourné les années durant de sa longue incarcération. Au final donc, une libération qui renforce la dévotion à l'égard de Notre-Dame Auxiliatrice.
Pour ce qui est de l'adjectif auxiliatrice (auxiliateur) pris isolément et qui appertient à la nomenclature religieuse, celui-ci signifie : « qui porte secours » (qui vient en aide à quelqu'un dans le besoin ou à quelqu'un qui court un grave danger). Donc, le vocable religieux Notre-Dame Auxiliatrice pourrait être interprété de la façon suivante : « La Vierge Marie qui porte secours ».
2.3 - Sous le signe de la pauvreté
Mais avant de poursuivre notre analyse portant sur les motivations possibles ayant mené au choix de l'adjectif auxiliatrice, nous tenons à préciser qu'au moment de la découverte du sens exact dudit adjectif, nous étions encore sous l'emprise de cet aura ayant émané de nos nombreuses lectures qu'a obligé l'approfondissement du présent sujet. Tout cela pour signaler notre stupéfaction face à la dure réalité qui a marqué l'arrivée des premiers colons à Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland ainsi que les sacrifices nécessaires à leur établissement en ces terres des hauts de Bellechasse. De toute évidence, l'arrivée des premiers résidants au pied de ces flancs de montagne surplombés par le mont du Midi ne se compare en rien à tous ces projets de retraite qui se déroulent à notre époque et dont l'objectif est l'établissement en ces mêmes lieux.
Toujours est-il que, au début de la colonisation du territoire de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, des conditions de pauvreté de masse, jugée comme étant extrême aujourd'hui, caractérisaient le niveau de vie de l'ensemble de la population du village. Il est vrai cependant qu'autrefois, en milieu rural bas-canadien, la pauvreté y était omniprésente. Toutefois, des indices toponymiques propres au territoire bucklandais attestent la véracité de ces conditions économiques difficiles qui, par le passé, ont longtemps prévalu dans la région.
Tout d'abord, à quelques mètres à l'ouest de la jonction des routes 216 et 279 se trouve un lieu-dit connu sous le nom de Pain-Sec. Pour qui l'ignore, « manger son pain sec » signifie n'avoir que du pain pour toute nourriture.
De plus, à l'extrémité nord du rang Ville-Marie s'étend un lac dont le nom est : Crève-Faim. En ce qui nous concerne, il nous apparaît pratiquement impossible ici de nier l'évocation très explicite se rapportant à une personne démunie qui « crève de faim », ou encore qui est reconnue comme étant un « crève-la-faim », en somme à un individu qui ne réussit pas à manger à sa faim.
Par ailleurs, et même si à notre connaissance aucun document officiel n'atteste l'usage local de cette désignation toponymique, il est reconnu et entendu par tous les résidants du village que Pain-Sec (le rang Pain-Sec et non pas le lieu-dit du même nom) désigne, en tout premier lieu, le rang Saint-Louis. Quant à l'appellation officielle, soit le rang Saint-Louis, celle-ci n'est pas en usage puisque non significative auprès de la population. Mais tout cela n'empêche en rien que l'appellation locale de ce rang dit Pain-Sec, hier conquis, cultivé et habité, qui d'est en ouest va de la route Saint-Louis au rang Saint-Thomas, où de nos jours la forêt a regagné en grande partie ses droits, alimente elle aussi cette perception d'un temps prolongé de pauvreté sévère qu'on devine aujourd'hui à travers des usages toponymiques particuliers fort évocateurs.
Finalement, à ces dénominations toponymiques qui font état des conditions remarquables de pauvreté qui caractérisaient le milieu de vie des résidants du village, s'ajoute le rapport (1901) d'Eugène Rouillard(3) qui fut « inspecteur des agences des terres et des bois de la Couronne de la province de Québec de 1894 à 1905 ». En parcourant le contenu du rapport, nous avons découvert que, selon son auteur, le village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland avait conservé, depuis sa fondation jusqu'aux dernières années du XIXe siècle, « une apparence chétive et où (...) la gêne avait élu domicile ».
(3) (https://archive.org/details/lacolonisation00roui/page/30)
En ce qui nous concerne, à la lecture de cette appréciation émise par l'auteur du rapport, une question a aussitôt surgi : « Mais comment peut-on décrire un village en le déclarant d'apparence chétive et surtout, comment peut-on prétendre que ce village sert de domicile à la gêne sans attribuer à l'ensemble des villageois ces mêmes qualificatifs dépréciatifs résultant de leurs conditions de vie qui, rappelons-le, correspondent aux images que suscitent le lieu-dit Pain-Sec et le lac Crève-Faim ? »
Bien que notre questionnement soit selon nous justifié, en même temps nous reconnaissons le risque possible d'un égarement dans de fastidieuses tergiversations interprétatives afin de saisir avec exactitude la pensée de l'auteur du rapport. Par contre, nous demeurons convaincu que son contenu a su nous influencer quant aux explications possibles devant nous aider à cerner les motifs qui ont mené au choix de l'adjectif auxiliatrice.
2.4 - Un revirement inattendu
Dans un premier temps donc, nous avons cru possible que le choix du vocable marial Notre-Dame Auxiliatrice se voulait tout simplement une réponse du pouvoir diocésain aux conditions de vie très difficiles, voire misérables, des premiers habitants du village à qui on conseillait de solliciter, au moyen de la prière, l'apport d'une intervention divine, soit celle de Notre-Dame Auxiliatrice, pour que celle-ci leur porte secours ou leur vienne en aide afin d'être en mesure de surmonter les épreuves d'un quotidien affligeant.
Toutefois, quel ne fut pas notre étonnement lorsque nous avons découvert tout à fait par hasard que, au cours de la période correspondant à la fondation du village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, à Turin (Italie), Don (Jean) Bosco (1815-1888), qui avait une foi inébranlable en Notre-Dame Auxiliatrice, accomplissait des merveilles. Quant à nous et au regard de l'objet de notre étude, il importe de retenir que toute l'oeuvre de Don Bosco s'est érigée sur le socle d'une infaillible volonté de porter secours à de jeunes enfants condamnés à la mendicité, à une vie de misère et d'errance. Pour Don Bosco, il était impérieux que ces enfants laissés à eux-mêmes aient accès à des ateliers de formation afin d'acquérir les rudiments d'un métier. Par la suite, il est devenu possible pour ces enfants abandonnés de s'intégrer au marché du travail et incidemment, d'ennoblir leur existence en tant que membres participant à l'oeuvre collective de la société à laquelle ils appartenaient.
2.5 - La création d'un nouveau village
Or, voilà qu'en 1882 aboutit à Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland l'abbé Joseph-Onésime Brousseau (1853-1920), cofondateur de la congrégation des Soeurs de Notre-Dame du Perpétuel Secours (1892) et fondateur de la communauté des Frères de Notre-Dame des Champs (1902). Mais son ministère en cette paroisse est écourté puisque, en cette même année 1882, le prêtre colonisateur Brousseau, suite à une demande qu'il avait auparavant lui-même adressée à l'archevêché, est nommé curé de la paroisse nouvellement fondée de Saint-Damien-de-Buckland. C'est donc en cette paroisse voisine de celle de Notre-Dame-Auxiliatrice que se concrétiseront les vues du curé Brousseau qui finira par être auréolé du titre de : Don Bosco du Canada.
Mais comme il a été indiqué précédemment, rappelons que, en cette période de notre histoire, l'agriculture en tant que moyen de subsistance représentait pour la majorité des Canadiens la seule issue envisageable. On comprend dès lors que le prêtre Brousseau, lui-même fils de cultivateur, se soit employé, à l'instar de Don Bosco et tout en tenant compte des contraintes de l'époque, à favoriser auprès de jeunes garçons orphelins la transmission de connaissances relatives au travail agricole.
De plus et afin de définir davantage le contexte ambiant d'alors, il nous importe de préciser que c’est le père du curé Brousseau, Joseph Brousseau, cultivateur et résidant de Sainte-Hénédine, qui, suite à la nomination de son fils cadet, a mis en culture les terres de la fabrique de la paroisse nouvellement fondée et dont l'exploitation subséquente a servi de modèle de production agricole aux colons des environs. Sachant cela, voilà que notre attention est portée sur le fait que, en étant nommé curé de Saint-Damien-de-Buckland, l'abbé Brousseau se rapprochait de la maison de ses parents située à Sainte-Hénédine. Pour le père du curé Brousseau, qui s'affairerait suite à la nomination de son fils à mettre en valeur les terres de la fabrique sans pour autant s'établir de façon définitive à Saint-Damien-de-Buckland, ce rapprochement lui aura sans doute été bénéfique en raison de la distance moindre à parcourir lors de ses déplacements le menant d'un village à l'autre. Et rapprochement bénéfique aussi pour le curé Brousseau qui se voyait ainsi davantage libéré d'une lourde tâche assumée par une personne plus présente et en qui il pouvait avoir une confiance aveugle, soit son père depuis toujours cultivateur.
Mais bon, nous reconnaissons que cette appréciation relative aux déplacements du père du curé Brousseau puisse être interprétée, lors d'une première lecture du présent document, sous l'angle d'un fait anecdotique plus ou moins pertinent quant à l'origine de la portion mariale du nom de notre village. Selon nous toutefois, cette appréciation mérite d'être prise en considération puisqu'une distance de dix (10) kilomètres sépare le centre du village de Saint-Damien-de-Buckland de celui de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland. Or, étant donné la vitesse de déplacement beaucoup moindre des moyens de transport de cette époque et la qualité parfois hasardeuse du réseau routier, réduire du quart la distance à parcourir (30 kilomètres plutôt que 40 kilomètres pour se rendre ou revenir de Sainte-Hénédine) représentait un gain important de temps. Tout cela sans oublier l'évitement des montées et des descentes de la fameuse côte Saint-Rock à l'entrée nord du village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland et dont le dénivelé s'étire sur une distance d'environ trois (3) kilomètres.
2.6 - Le chemin Taché
Toujours est-il qu'en dépit de ces considérations, de son côté le curé Brousseau, en accord avec les vues de la Société de colonisation du diocèse de Québec, tenait mordicus à ce que soit favorisé l’élan de colonisation des hauts de Bellechasse en préparant des orphelins à devenir les cultivateurs de demain pour que soient tout d'abord mis en valeur les vastes étendues du canton de Buckland. Par contre, l'arrivée du curé Brousseau est survenue un quart de siècle après le lancement en 1859, depuis le village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, du projet de colonisation du territoire de l'arrière-pays appalachien connu sous le nom de Chemin Taché. Ce projet consistait en l’ouverture d’un chemin s’étendant depuis Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland et dont l'aboutissement prévu était la vallée de la Matapédia, et plus précisément la seigneurie de Métis pour ainsi rejoindre le chemin Kent.
Donc, grâce à l'ouverture du chemin Taché, aussi connu sous le nom de Grand Tronc des chemins de colonisation, devenaient accessibles de nouveaux espaces pour les colons désireux d'acquérir une terre à cultiver. Par la même occasion, on parvenait grâce à l'ajout de cet autre projet de colonisation du territoire à freiner, du moins en partie, le fort mouvement d’émigration des Canadiens en direction des États-Unis. Bien entendu, ces nouvelles terres offraient aussi un débouché intéressant pour ces orphelins appelés à devenir éventuellement des cultivateurs ou encore, des ouvriers agricoles.
Mais considérant que le point de départ de ce chemin de colonisation était le village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, nous sommes par conséquent porté à croire que, en tout premier lieu, soit lors de la fondation du village en 1857, les autorités religieuses de l'époque avaient plutôt prévu que l'éventuelle oeuvre qui fut celle du curé Brousseau se réaliserait ici-même, c'est-à-dire à Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland. Et en second lieu, étant donné que la concrétisation de cette volonté de colonisation de l'arrière-pays appalachien aurait comme point d'origine le village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, cela expliquerait le choix du vocable marial Notre-Dame Auxiliatrice puisque, pour les autorités ecclésiastiques d'alors, l'ensemble de cette stratégie de mainmise territoriale ultramontaniste passait ici par la réalisation d'une oeuvre comparable à celle de Don Bosco qui avait une foi inébranlable en Notre-Dame Auxiliatrice.
Toutefois, en raison, tout d'abord, du rapprochement obligé réduisant la distance entre la terre familiale du curé Brousseau et la paroisse dont ce dernier a obtenu la cure, et étant donné aussi la rareté de ce type d'individu animé de tant de conviction et de foi religieuses, voilà que l'oeuvre du curé Brousseau a, selon nous et vingt-cinq ans après la fondation du village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland, finalement pris son envol à Saint-Damien-de-Buckland.
Conclusion
Sans la moindre hésitation, nous reconnaissons que la présente étude relève d’une appréciation tout à fait personnelle de la dénomination toponymique du village de Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland. C'est, en somme, une étude sans prétention qui s'ajoute à toutes les autres démarches entreprises afin de mieux comprendre l'histoire de ce merveilleux coin de pays que sont les hauts de Bellechasse.
Enfin, nous terminerons en nous permettant de dévoiler l'interprétation qui nous apparaît la plus concordante et la plus révélatrice du toponyme Notre-Dame-Auxiliatrice-de-Buckland qui, selon nous, signifie :
La Vierge Marie qui porte secours au détenteur d'un titre de propriété terrienne
libéré de toute redevance.
Daniel Verret
2015/04/16 - 2020/11/13