Fuir, déguerpir, décrocher.
Devant et sur fond blanc,
Les lettres noires des mots.
Fuir
Et par la suite,
Sans pour autant être ailleurs,
Recommencer à nouveau.
Il était donc une fois qui n’est plus.
On s’en va par là.
Notre langue.
Aujourd’hui, il pleut.
Partir,
Refermer la porte derrière nous,
Fuir
Pour nous empêcher de ne devenir qu’un surmoi.
Absence.
Instantanéité.
Réflexion : aucune.
La fuite.
C’est juste qu’on écoute trop,
Trop les autres,
Qu’on accorde trop d’importance
Aux mots des autres.
Le problème,
Ce n’est pas eux,
Mais nous.
Face à nous-même, on est trop mou.
Fuir.
On embraye et on dégage.
Par là.
Droit devant.
On attend les mots.
Craque la maison.
Il nous a fallu chauffer.
Le ciel est gris tempête de vent et de pluie.
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Elle a mal dormi.
Le vent soufflait si fort
Qu’elle se réveillait
À tout bout de champ
Alors qu’elle était dans son lit
Et non pas dans un champ,
Ce qui toutefois ne l’empêchait pas
De se réveiller à tout bout de champ.
Endormie,
Elle rêvait.
Soudain le vent soufflait très fort.
Du coup (!) ses rêves s’envolaient.
Elle était là,
À mes côtés,
Endormie,
Moi qui croyais que c’était pour la nuit.
Endormie et donc ailleurs
Et moi, tout comme elle et à ses côtés, dans mon ailleurs.
La nuit achevée, je me suis levé.
À côté de moi, au bout d’un champ, la belle endormie.
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Et on est reparti
Au moyen des mots
Dans un univers
Où tout est vert uni
Et où ça sent la forêt,
Où ça sent les champs,
Où ça sent la pelouse,
Où ça sent la terre mouillée.
On est reparti,
Ignorant où çà qu’sé qu’on s’en vâ
Et
D’où ç’que la dernière phrase à vient!
On aurait voulu
Qu’on nous en apprenne davantage sur notre langue.
Pourquoi cé faire
Qu’on nous coupe de nos origines langagières?
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Même si ma langue n’est pas parfaite,
Même si j’ai un drôle de parler,
Même si ma langue n’est pas élitiste,
Même si on me garroche à la figure que je parle mal,
Je l’aime bien
Ç’te langue-là
Qui est mienne
Et qui me demande que je la soutienne.
Je ne suis pas enseignant,
Ni écrivain,
Ni non plus journaliste.
Je ne suis qu’un tapeux de mots.
Mais mes oreilles pleurent
Lorsqu’elles entendent parler ceux et celles
Qui enseignent aux enfants
Et qui ne maîtrisent pas cette langue
Qui est la leur,
Maternelle,
Et alors qu’on s’empresse
D’enseigner à ces mêmes enfants une autre langue.
Une langue, c’est une richesse.
En posséder deux,
C’est être en possession de deux richesses.
Mais ne pas maîtriser sa langue maternelle
Avec le risque de basculer dans l’unilinguisme
D’une autre langue,
C’est d’une pauvreté intellectuelle
Comme il est difficile d’imaginer autrement ce qu’est la pauvreté.
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Aujourd’hui,
On serpe.
Avant,
On sarpait.
Serper
Vient
De sarpere.
Dans le coin, on sarpe encore bien qu’ailleurs on serpe.
On a été coupés du reste de la planète.
Confinés à l’intérieur d’un territoire.
Et on ne nous apprenait
Ni à lire, ni à écrire (et encore moins à compter).
Le temps s’est arrêté.
Notre langue a cessé de suivre l'élan évolutif franco-langagier
Qui avait cours ailleurs, sur un autre continent.
Et aujourd’hui on tend à parler une langue qui hier était parlée.
Le passé est devenu présent.
C’est une richesse
Étant donné qu’on a la chance de parler une langue
Qui relève d’un bilinguisme temporel.
Paraît-il qu’on parle mal.
Ché pas trop
Dans quelle mesure
Est vraie cette assertion.
Nadagami