Pour y parvenir près de cinquante ans plus tard,
Tous les jours mes doigts enfoncent
Les touches d’un clavier.
Oui, je sais :
J’ai déjà abordé le sujet.
Et oui aussi je sais
Qu’il y a toutes ces choses
Pas mal plus importantes
Que celle d’écrire aussi vite que je parle
Et que sont :
La technologie informatique,
La finance,
La médecine,
Les affaires,
La guerre.
Comme j’aimerais être membre à part entière
De l’une de ces grandes familles.
Sauf que pour moi,
Il y a les mots
Et mots qui sont arrivés tard dans ma vie :
Parce que j’étais sourd;
Parce que je ne comprenais pas;
Parce que ça m’apparaissait insensé.
Et en plus,
En français,
Le mien,
Celui que j’ai appris icitte,
Souvent dénigré,
Rabaissé au rang de dialecte,
Mais le seul qui me colle vraiment à la peau.
Chuis mal chié.
Mais ces mots, les miens, sont en moi.
Et parfois je me dis
Qu’il fallait qu’il en soit ainsi,
Qu’il fallait que j’ignore ce besoin de taper des mots,
Qu’il fallait que je ne comprenne pas,
Qu’il fallait que je découvre tard l’importance
Que représentent pour moi les mots.
Et est survenu ce jour
D’apprendre que je parle, pense, tape
En francoquébécois.
À cet instant précis, le fleuve s’est refermé
Jusqu’à ce que les deux rives se soudent l’une à l’autre.
Plus jeune,
J’aurais douté ou serais demeuré perplexe en apprenant
Que je parle, pense, tape en francoquébécois.
De toute façon, plus jeune, je rejetais la singularité de ma langue.
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J’ai des outils d’ici et d’ailleurs qui me guident,
Mais c’est moi qui au final
Décide de la tournure définitive
De tous les ensembles de mots que je tape.
Quant à cette nécessité implacable de taper des mots,
Elle est née en même temps que moi.
Ce n’est pas une question de talent,
Mais bien d’obligation.
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Il y a près de cinquante ans,
En traversant la rue.
Je me suis entendu dire
Qu’un jour j’écrirais aussi vite que je parle.
Il y a près de cinquante ans, je le savais?
On dirait.
Toujours est-il
Que je ne me suis pas trompé.
nadagami