- Un jour, je serai capable d'écrire aussi vite que je parle.
Un peu décontenancé puisque tout fin seul à traverser la rue, je maintiens malgré tout mon élan et atteins l'autre côté de la voie publique. Rendu là, je ralentis le pas et commence à m'interroger. C'est quoi cette phrase? Elle vient d'où? Et elle veut dire quoi au juste? Puis je répète machinalement à voix basse :
- Un jour, je serai capable d'écrire aussi vite que je parle.
Être capable d'écrire aussi vite que je parle... Pourquoi?
Pour dire vrai, je ne comprends pas ce qui se passe. Jamais par le passé n'ai-je entendu ou lu quelque part cette phrase. D'un pas lent, je finis par me rendre à l'école mais toujours incapable suis-je de m'expliquer la raison de cette phrase venue de je ne sais trop où. Toujours est-il que je finis par oublier.
Le temps passe, les années s'écoulent. J'ai pris place à une table de travail de la bibliothèque de l'école. Soudain dérangé par un bruit répétitif, je lève les yeux puis fixe, sans pouvoir m'en détourner, un étudiant qui rédige un travail à remettre sans doute dans les jours à venir. Le hic toutefois est que l'étudiant en question retranscrit le brouillon de son travail à l'aide d'une machine à écrire.
Je suis émerveillé et surtout estomaqué par la vitesse à laquelle il recopie au propre la version finale de son travail. Et là de me dire :
- Il faut que j'apprenne à écrire à l'aide d'une machine à écrire.
Encore une fois, les années passent. Je me retrouve à Montréal et suis sans travail. Ma copine du temps, elle aussi sans travail, se procure un livre qui explique la méthode à acquérir afin de pouvoir écrire au moyen d'une machine à écrire. Comble de bonheur, la maman de ma copine nous achète une machine à écrire. Et voilà que nous nous lançons dans la rédaction dactylographiée de textes écrits à la main. (Ouf! Ce n'est pas toujours évident le décryptage d'un texte manuscrit.)
Dès le début par contre, je découvre que les textes à dactylographier sont toujours pour « hier » . Autrement dit, pas le choix, il faut faire vite et donc, pas question d'écrire au doigt surtout qu'il faut lire et taper en même temps. Donc, la méthode devient incontournable; sans elle, impossible d'y arriver.
Mais après quelques mois, je constate que les entrées d'argent demeurent trop fluctuantes ou encore, qu'en certaines périodes il m'aurait fallu avoir quatre paires de mains pour répondre à toutes les demandes. Je me décide donc à chercher un emploi plus stable. Et qu'est-ce que je déniche comme emploi après maintes demandes d'embauche? Je finis par décrocher un poste de... secrétaire de bureau. Mon patron? Une femme. C'est le monde à l'envers et le début d'une bataille personnelle face à l'inconvenance des stéréotypes!
Après trois années à ce poste, je quitte. Je tente ici et là des expériences de travail qui s'avèrent plus ou moins heureuses. Puis finalement, je me retrouve assis face à un bureau où sont installés trois claviers d'ordinateur. C'est clair : il faudra écrire vite.
Aujourd'hui à la maison, encore et tous les jours, j'enfonce les touches d'un clavier d'ordinateur portable pour tout simplement parvenir à écrire aussi vite que je parle.
Daniel Verret