Tout le temps, du moins par ici, la campagne est belle. Par contre, autant elle peut être belle, autant il lui arrive en certaines occasions de sentir mauvais. Et aussi mauvais jamais moins qu'elle peut être belle.
Mais ce n'est pas tout le temps que la campagne sent mauvais. C'est juste par bouttes. Sauf que, là, on est en plein dans un de ces bouttes au cours desquels on vide les fosses à purin.
Comme disent les gens du coin : ça sent la m-a-r-d-e!
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Quand je me suis établi ici, j'ai évité de critiquer ou de dénigrer les conditions de vie spécifiques à la ruralité. Sauf que lorsqu'il y a épandage, il est difficile de rester impassible. En plus, mais sans pour autant s'épancher sur le sujet pendant des heures, tout le monde en convient et personne ne se cache pour le dire : ça pue et beaucoup.
Au début, on dit à qui veut l'entendre et à soi-même : « Ouin! Ça sent, hein! » Puis, pour mieux se convaincre ou pour mieux oublier l'odeur, on répéte tels des mantras de courtes phrases semblables à celles qui suivent : « Bon bin, ça va finir par passer. » ; « Pas le choix, il faut toujours bin l'étendre quelque part. »; « La campagne, c'est aussi ça! » Et effectivement, ça finit par passer... Mais aussi par revenir.
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Les années ont passé, les périodes d'épandage se sont succédé puis le jour est venu que, à la vue des camions-citernes qui traversent le village et derrière lesquels se disperse dans l'air l'arôme particulier des fosses à purin, on en vient à parler du sujet avec les termes que tous utilisent :
1) Ça sent la marde.
2) Ouin! à matin, ça charrie de la marde.
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Au cours des derniers jours, on a eu droit à du temps magnifique : il a fait beau, chaud et sec, le vent était presque absent ainsi que les nuages. Par contre, on a aussi arrosé les champs au cours de cette même période : faque depuis jeudi passé, ça sent.
Mais le calvaire ne devrait pas durer trop longtemps. L'odeur est déjà moins forte et avec la pluie qui s'en vient, d'ici deux à trois jours, ça ne sentira plus. Jusqu'à la prochaine fois.
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Dans le rang Ville-Marie ce matin, c'était beau, beau pas ordinaire : les montagnes les plus hautes, noir vert, n'exhibaient que leur contour mis en nette évidence par un ciel inondé de la lumière du soleil qui projetait ses rayons dans une fine masse d'humidité en suspension devenue en cet instant jaune et blanche; au pied des sommets les plus élevés, les différents verts des arbres et des champs se démarquaient alors que l'ombre noire étirée des lisières décalées de la forêt amplifiait la netteté des lignes les plus avancées tandis qu'en arrière plan tout demeurait flou, mal défini, grossier.
Comme j'étais sur le chemin du retour, il m'a donc fallu plonger dans ce décor scindé en deux, à la fois bien défini à sa base et à la fois composé de formes sans relief dans ses hauteurs. Me laissant aspirer par ce décor pour le traverser, j'en suis ressorti sur la rue Principale pour y remarquer un soleil qui s'arrachait du sommet des monts traçant la limite sud du village.
Et une fois revenu au village après ce plongeon dans ce décor empreint de bipolarité excessive, j'ai réalisé que j'avais sans y penser oublié l'odeur de purin qui depuis quelques jours enveloppe le village tout entier.
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Daniel verret